Plongée au cœur de la filière noix de cajou de Binh Phuoc, Vietnam
Fraichement débarquée au Vietnam, je me suis rendue directement dans la province de Binh Phuoc (ici) pour aller découvrir la filière noix de Cajou et le projet de développement d’une Indication Géographique Protégé (IGP). Mon contact, Chien Dang sera mon interprète anglo-vietnamien et mon guide pour les deux jours suivants. Il travaille pour le RUDEC qui est le leader du conseil de réalisation du projet au sein duquel on trouve deux autres organisations (CASRAD et CIRAD).
La noix de cajou vietnamienne en quelques chiffres (2014)
Surfaces exploitées en noix de cajou : 311 200 ha dont 134 964 ha dans la région de Binh Phuoc.
Production nationale : 349533 tonnes.
Exportation : 300 000 tonnes.
Valeur de l’exportation : 2,5 millions de Dollars (2015).
La noix de cajou de nos apéros, à quoi ressemble-t-elle au départ ?
Combien de fois avez-vous grignoté ces petites noix accompagnées d’un coca ou d’un verre de rosé ? Et pourtant, si je vous montre le fruit…
La partie que l’on mange se situe dans la petite cosse verte. D’ailleurs, c’est la première partie du fruit à pousser, la graine. Le fruit orange juteux n’apparait qu’après.
J’ai eu le plaisir de rencontrer Hoang Trong Thuy, agriculteur spécialisé dans la production de noix de cajou. Il nous a fait faire le tour d’une partie de ses 11 hectares d’anacardiers (arbre sur lequel pousse… les noix de cajou, bien sûr !) et a eu la patience de répondre à toutes mes questions.
Les anacardiers ont une durée de vie productive d’environ 30 ans. Afin de la prolonger davantage, Hoang a développé l’utilisation de la greffe sur son exploitation. Il a appris cette technique lorsqu’il était à l’école d’agronomie et l’utilise chaque année. Il greffe des branches des arbres les plus productifs sur les plus anciens. Ainsi, ses arbres restent féconds pendant une plus longue période.
Par ailleurs, sa production est plus performante que celle de ses collègues de la région. En effet, si vous prenez un kilogramme de noix chez chacun, vous aurez 124 noix chez notre producteur et 160 chez les autres. Pourquoi cette différence ? Parce que ses noix de cajou sont plus grosses que celles des autres !
Il est très connu dans la région pour ses connaissances techniques. Tous les producteurs d’anacardiers viennent lui rendre visite pour apprendre de lui. De plus, lorsque des personnes du gouvernement sont en visite dans la région, c’est toujours son exploitation qu’elles viennent découvrir.
La récolte des noix de cajou dans cette région se déroule de Février à Mai. Lorsque les fruits sont mûrs, ils tombent et il n’y a alors plus qu’à se baisser pour les ramasser. Les ramasseurs sont des saisonniers payés 2000 Dong par kilogramme (environ 0,09$).
Les « collectors », en attendant, au bord des routes
Le maillon suivant de la filière, ce sont les collecteurs. Ils sont le lien entre les producteurs et les usines de transformation.
Il y en a un peu partout entre les exploitations de cajou. Ils restent assis à l’ombre toute la journée et attendent que les producteurs leur apportent des noix par paniers et par sacs.
Cette jeune fille que nous avons rencontrée, collecte jusqu’à une tonne par jour. Elle nous explique que son rôle est de stocker et garder en sécurité les noix de cajou jusqu’à l’arrivée des camions des usines en fin de journée, vers 17h.
Elle achète 33000 Dong par kilogramme et revend 33200 Dong par kilogramme. Sur une tonne de noix, elle gagne donc 200 000 Dong, environ 8€.
De la noix ramassée à nos apéritifs, récit d’un processus !
Bienvenue à l’usine Phuc An où les cosses entrent et les noix prêtes à manger sortent !
Ici, 25 tonnes de cosses de noix de cajou entrent chaque jour et 8 tonnes de produits finis, en sortent. Au total, ils produisent 2400 tonnes de produits finis.
Lors que les cosses arrivent, la priorité est de les sécher afin de pouvoir les conserver et stocker avant la transformation. Elles sont exposées pendant trois jours en plein soleil avec moins de 10% d’humidité. Elles sont retournées régulièrement avec une sorte de grand râteau sans dent pour homogénéiser le séchage.
Ici le stockage. Ils utilisent de février à mai la production locale de cosses et importent d’Afrique le reste de l’année. Ils utilisent environ 50% de chaque.
Les sacs de cosses sont vidés dans la machine ci-dessous qui, grâce à un système de tamis et d’entonnoirs, va les répartir en six catégories de taille : A1, A2, B1, B2, C et CD. Ce classement n’est utile que pour l’étape de la découpe de la cosse.
Les cosses sont ensuite passées dans la machine ci-dessous qui grâce à l’utilisation de vapeur d’eau va ramollir la cosse extérieure pour la rendre plus facile à découper.
La découpe de la cosse est donc l’étape suivante. C’est là que nos six catégories sont utiles. En effet, à chacune correspond une machine différente pour découper l’extérieur de nos noix de cajou. A la sortie de la machine, il y a toujours des rebelles. Celles-ci, il va falloir les découper à la main avec cet outil.
Les noix de cajou sont, ensuite, passées au four.
Après la cuisson, il reste encore à finir de nettoyer les noix de cajou. En effet, il faut enlever, gratter, les petits bouts de peau noire qu’il peut rester. La noix doit être bien blanche pour être vendue. Aujourd’hui, l’utilisation des différentes machines permet d’enlever la plus grosse partie des peaux et il n’y a plus qu’environ 10% de la production qui est encore grattée à la main.
Les noix sont ensuite triées à la main en différents calibres et qualités.
Il n’y a plus qu’à les exporter ! La plus grande partie de leur production est expédiée en Hollande vers l’entreprise Intersnack.
Une production Vietnamienne sans égal
Je ne sais pas si c’est leur côté chauvin mais Chien Dang et Ky Su Vu Bach Tung, le manager de l’usine, m’ont soutenu que les noix de cajou de la région de Binh Phuoc étaient les meilleures au monde.
Les noix de cajou vietnamiennes ont la particularité d’avoir un remplissage des cosses plus important que celles des pays concurrents. Les producteurs vietnamiens obtiennent donc un prix plus intéressant que leurs concurrents.
Mais voilà, la production nationale de cosses n’est que de 350 000 tonnes par an alors que la capacité de transformation des usines du pays est de 1,2 millions de tonnes. Pour combler ce manque, les usines importent donc des cosses d’Afrique. Même en ajoutant le coût du transport, les cosses africaines restent moins chères que les cosses locales, un comble !
Afin de valoriser la qualité des noix de cajou vietnamienne, le NIOP, le Rudec, pour qui travaille Chien Dang, le CASRAD et le CIRAD en partenariat avec l’Agence Française de Développement, ont décidé de créer une IGP, une Indication Géographique Protégée.
Les objectifs :
- Préserver et protéger l’héritage des communautés ;
- Protéger la production vietnamienne sur le marché international notamment en permettant la reconnaissance du produit et de sa qualité ;
- Contribuer au développement de la production ;
- Un outil de développement rural et de maintien de la culture locale.
Chien Dang et le RUDEC ont pour rôle de :
- Réaliser l’enregistrement de la zone géographique protégée de Binh Phuoc en préparant les documents nécessaires et construire un modèle de contrôle qualité ;
- Créer, supporter et renforcer la capacité de l’association des noix de cajou de Binh Phuoc pour l’organisation de l’institution, son management, sa gestion financière et le développement du marché.
- Réaliser une étude de marcher, introduire les IGP auprès des consommateurs, créer une campagne de communication marketing auprès des consommateurs européens.
Les producteurs et les usines attendent beaucoup de la création de cette IGP. Pour eux, c’est véritablement une chance donnée à la noix de cajou de Binh Phuoc d’être reconnue mondialement pour sa qualité. Ils espèrent que la production pourra être boostée et ainsi exporter encore plus de noix !
Les noix de cajou sont principalement destinées à l’exportation. Chien m’a expliqué que pour les vietnamiens, le prix des noix était beaucoup trop élevé. Ils n’en consomment que pour les grandes occasions et grandes fêtes.
Cet article est passionnant, Laure-Line! Bravo!
Les photographies sont géniales!