Portrait d’agriculteur :
Sylvain Hauchard, agriculteur à Wagnon en Champagne-Ardenne
Sylvain est polyculteur-éleveur dans le joli village de Wagnon. Avec sa femme, ils élèvent 128 vaches de race blonde d’Aquitaine et Charolaise, dont 45 mères allaitantes, et cultivent 250 hectares avec Luc, leur associé.
La passion de l’agriculture
Sylvain n’est pas fils d’agriculteur. La passion de l’agriculture l’a piqué lorsqu’enfant, il rendait visite à son grand-père. Ce dernier vivait dans un village agricole. Le meilleur ami de Sylvain dans le village était fils d’agriculteur et devait aider son père pour les différents travaux. Ainsi, si Sylvain voulait passer du temps avec son copain, il devait lui aussi aider aux champs. Et PAF c’est là qu’il a été piqué par le virus agricole !
A la fin de son année de troisième, il supplie ses parents de l’envoyer au lycée agricole. Refus catégorique. A l’époque, l’agriculture n’est pas vraiment vue comme une voie d’avenir.
Il a poursuivi ses études dans l’électronique et est même devenu enseignant.
Finalement, après quelques années de travail en tant qu’électronicien, il a repris le chemin de l’école afin de passer un Brevet de Technicien Agricole (BTA) en un an.
De son installation à son association, chronique d’une ferme qui bouge
A ce même moment, dans le village de Wagnon un agriculteur cherchait un repreneur. Sylvain était déjà très épris de sa future femme et cela semblait une bonne occasion de construire leur vie.
Le cédant de la ferme a reçu 21 candidatures de personnes souhaitant reprendre la ferme et c’est Sylvain qu’il a choisi.
Notre agriculteur s’est alors installé en 1992 sur 70 hectares dont une partie reprise de son beau-père.
Tout est à faire sur l’exploitation. Les bâtiments n’avaient pas été mis aux normes depuis des années et étaient délabrés.
Sylvain a fait un premier emprunt pour acheter 35 vaches et un peu de matériel. Ce dernier acheté d’occasion, tombait souvent en panne. Sa femme travaillait à l’extérieur et c’est son salaire qui faisait vivre leur famille.
Ils ont rapidement eu l’occasion d’accroître leur surface en herbe et ont donc augmenté le cheptel. Cependant, l’exploitation vivait uniquement sur de la trésorerie mais sans capital. Sylvain a alors repris un emploi à temps partiel en tant qu’enseignant afin de compléter ses revenus. Ainsi, il alternait son temps entre ses 25h hebdomadaire d’enseignement et son travail sur l’exploitation.
Au bout de quelques années, il avait désormais l’argent pour investir dans l’exploitation mais n’avait plus le temps de s’en occuper ! Il a donc profité de l’argent épargné pour moderniser et mettre aux normes la ferme puis à cesser son activité salariée.
Dans le même temps, poussé par les annonces du Président Sarkozy à propos de l’introduction du bio dans les cantines scolaires, Sylvain a converti la partie viande de l’exploitation en agriculture biologique.
Ils ne sont restés en agriculture biologique que quelques années et ont cessé à cause d’une inspectrice trop zélée.
Je vous explique : le cahier des charges de l’élevage bovin bio stipule concernant la paille que celle servi dans les mangeoires doit être bio mais qu’il n’est pas nécessaire que celle utilisée pour pailler les enclos (mettre de la paille au sol pour les litières) soit certifiée. Mais voilà que l’inspectrice est scandalisée : elle aperçoit une vache qui mange de la paille que Sylvain vient de mettre au sol. Grand dieu, cette vache a ingéré peut-être 1kg de paille non issue de l’agriculture biologique ! Sylvain explique qu’il respecte parfaitement le cahier des charges. Effectivement, parfois, lorsque la paille vient d’être mise, les vaches en ingèrent un peu. Mais lui est en adéquation par rapport aux règles édictées. L’inspectrice n’a rien voulu savoir. Il lui a gentiment expliqué que si elle faisait un rapport là-dessus, il envoyait sa lettre de démission de l’agriculture biologique, ce qu’il a fait dès qu’elle est remontée dans sa voiture !
Après le décès de son beau-père en 2009, sa femme a cessé son emploi salarié et a rejoint Sylvain sur l’exploitation en tant que co-gérante. Cela a été l’occasion d’entamer une réflexion sur l’organisation et l’avenir de la ferme. Ils ont notamment commencé les démarches pour certifier l’exploitation « agriculture raisonnée » et développer une activité de vente directe de viande.
Désormais, sa femme s’occupe de toute la partie viande : gestion des animaux, prise des commandes, préparation des colis, etc. Comme ils n’étaient plus en bio, ils ont cessé de vendre aux cantines. Ils ont alors choisi de ne garder que quelques clients et de vendre uniquement en direct et à la commande. Ainsi, chaque animal qui part à l’abattoir est déjà vendu entièrement. C’est ensuite sa femme qui s’occupe de préparer et livrer les colis. Ils n’abattent plus aujourd’hui qu’une dizaine d’animaux par an ce qui leur permet d’être rentable sans y passer trop de temps.
Son investissement dans sa coopérative
En 1995, sa coopérative, VIVESCIA est venue le trouver pour lui proposer d’animer le comité des jeunes. Dans leur organisation, les « jeunes » ne définit pas une tranche d’âge mais les nouveaux adhérents de la coopérative.
Il a animé ce groupe jusqu’en 2001. L’un de ses rôles était notamment d’assister aux Conseils d’Administration (CA) de la coopérative. S’il n’avait pas le droit de vote, il pouvait tout de même participer aux débats. Ce système permet de faire entrer « en douceur » de nouvelles personnes dans le CA en les initiant progressivement aux débats et à l’importance des décisions. Il y entre officiellement en tant qu’administrateur en 2001 puis au bureau en 2008.
Sylvain s’est pris de passion pour sa coopérative. Il s’y investit autant que dans son exploitation. Il explique que la coopérative a pour but d’aider les agriculteurs à dégager plus de revenus. Vivescia est un outil des agriculteurs au service des agriculteurs. Elle les épaule à toutes les étapes, de l’achat des semences à la récolte et particulièrement dans les moments difficiles, comme la moisson 2016.
L’association, une solution au manque de temps
Lorsque Sylvain entre au bureau de VIVESCIA, son investissement en temps augmente de plus belle. Il a longtemps cherché un salarié suffisamment compétent et autonome pour l’épauler. Finalement, il comprend que c’est un associé qu’il lui faut. En 2012, il rencontre Luc, habitant dans le village de Puiseux à une dizaine de kilomètres de Wagnon. Pendant un an, ils se sont vus régulièrement pour réfléchir ensemble à leur association, à l’organisation, etc. Chacun voulait développer une entente durable et pour cela il fallait être d’accord sur tous les points.
En 2015, ils ont créé une SNC (Société en Nom Collectif) pour regrouper tout leur matériel et rémunérer le temps de travail sur les grandes cultures. Je m’explique.
Concernant la mise en commun du matériel, cela leur a permis de rationaliser leur parc de machines. Ils ont revendu les machines qu’ils avaient en double, acheté des machines plus performantes, etc…
Concernant la rémunération, il était important de fixer un système de paiement des heures de chacun à travailler pour les grandes cultures. En effet, comme Sylvain est beaucoup absent, car occupé à la coopérative, c’est Luc qui passe beaucoup plus de temps dans les champs pour faire avancer les travaux ! Chacun comptabilise donc ses heures et les déclare à la SNC qui les rémunère.
Cependant, ils perdaient encore beaucoup de temps sur les périodes de travaux agricoles. En effet, afin de s’organiser de manière équitable, ils travaillaient alternativement dans les champs de l’un puis de l’autre. Par exemple pour la moisson, lorsqu’ils récoltaient 20 hectares chez Luc, ils partaient ensuite chez Sylvain récolter 20 hectares puis revenaient chez Luc. Imaginez la perte de temps et d’argent ! Pour déplacer la moissonneuse, il est nécessaire de détacher la coupe et de l’accrocher à l’arrière de la machine puis la machine doit être escortée par une voiture avec un panneau orange « convoi agricole » sur les 12 km qui séparent les deux exploitations. De plus, en fonction du moment de la récolte, s’ils arrivaient quelques jours après la maturité dans un champ la qualité pouvait être dégradée.
C’est pourquoi depuis 2015, Luc et Sylvain ont décidé de passer à un nouveau niveau dans leur collaboration. Ils ont créé une nouvelle structure juridique leur permettant de mettre leur assolement en commun. Chacun a apporté dans cette entité toutes ses terres cultivées en grandes cultures (blé, orge, maïs, colza). Sylvain a apporté 48% des terres et Luc 52% de l’assolement global. Ils cultivent en tout 250 hectares.
Dorénavant, il n’y a plus un champ à Sylvain par ici et un champ à Luc par là. Il y a une entité globale et pour chaque récolte chacun gagnera l’équivalent de son pourcentage. Ils ont mutualisé à la fois la quantité (rendements) et la qualité. Par exemple : sur la parcelle de 60 hectares de colza que nous avons récolté lors de ma venue, Sylvain récupérera 48% des bénéfices tandis que Luc en gagnera 52%.
Pourquoi la mise en commun de l’assolement est-elle intéressante pour l’exploitation ?
Tout d’abord, finis les aller-retours inutiles d’une exploitation à l’autre simplement pour que les deux récoltes (et autres travaux) avancent simultanément. Chacun gagne autant sur toutes les terres. Ensuite, ils ont réparti les cultures par secteur : un secteur blé, un d’orge, un de colza et un de maïs. Cette répartition permet de diminuer encore les déplacements de machine pour tous les travaux : travail du sol, semis, traitement, récolte.
Autre avantage, si l’un d’entre eux à un imprévu, l’autre peut venir le remplacer. Par exemple, lors de ma venue pour une journée moisson, Sylvain a été appelé sur sa ferme au chevet d’une vache malade. Luc est venu prendre la relève dans la moissonneuse-batteuse de manière à ce que la récolte ne soit pas stoppée.
Pour conclure, Sylvain est un agriculteur passionné par son exploitation et sa coopérative.