Paysans d'Avenir

– Embarquez dans l'aventure

Récit de moisson

16 août 2016


Une journée de moisson avec Sylvain Hauchard, administrateur à Vivescia

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Mercredi 27 août 2016

Je suis arrivée vers 9h ce matin-là après avoir tourné un peu dans le village de Wagnon. Comme quoi, même dans un village d’une centaine d’habitants, il est possible de se perdre !

Je me garais donc dans la cour et téléphonais à Sylvain pour que l’on se retrouve.

Début de journée: actualités et réflexions

Lui, avait démarré sa journée à 6h : lecture de ses mails, regard sur la météo locale et mondiale, mise à jour de son agenda avec toutes les convocations reçues la veille et visite et paillage* des 128 vaches de l’exploitation. Il en avait abattu du travail en trois heures de temps ! [*nettoyage des espaces et remettre de la paille]. 

Les présentations faîtes, Sylvain m’installe dans son bureau. Nous prenons le café en discutant de choses et d’autres mais principalement de l’actualité agricole. Cette année, la récolte française n’est pas des meilleures. Même, les agriculteurs rencontrent la pire année qu’ils aient connu depuis l’époque de leurs grands-parents. Les rendements sont bas et la qualité n’est pas franchement au rendez-vous.

Sylvain me lit quelques mails qu’il a reçu. L’un d’entre eux est particulièrement intéressant, venant de Vivescia, sa coopérative donc il est membre du Conseil d’Administration. Il s’agit d’un rapport d’analyse des tendances du marché. Il semble, pour l’instant, qu’il n’y a qu’en France que la récolte en blé soit mauvaise. Les informations des autres pays prévoient de bons rendements et une qualité excellente. Sylvain est sceptique sur les annonces faites un peu partout. Il m’explique que nous sommes entrés dans un jeu de parlotte : les acteurs du marché annoncent une bonne récolte mondiale alors qu’elle n’est pas encore effectuée et sachant qu’il y a 8 jours les prévisionnistes annonçaient 38 millions de tonnes pour la France alors qu’il pense qu’elle ne sera que de 26 millions de tonnes. Cependant, il estime que les prix ne peuvent pas continuer de descendre. Même si les récoltes des autres pays sont excellentes, il manquera nécessairement du grain sur le marché puisque la France, qui exporte plus de 10 millions de tonnes de blé par an, connaît sa pire récolte. Les prix devraient alors sacrément augmenter, faisant ainsi le bonheur des traders ayant acheté à bas prix.

In fine, « grâce » à l’économie de marché, un agriculteur ayant pris soin de ses cultures, investi le temps et la technique nécessaire et dont les rendements sont bons, peut tout de même subir des pertes si le prix du marché est bas. Alors les années où les rendements sont bas et les prix aussi… c’est la catastrophe !

La moisson est donc morose cette année.

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Mais revenons-en à notre journée de moisson.

Après ces diverses explications, Sylvain me fait faire le tour des bâtiments de la ferme : le champ de proximité où paissent les vaches, le hangar de stockage du matériel et la grange où sont mises les vaches sur le point de vêler (donner naissance). Il y a actuellement trois vaches à cet endroit : deux ont déjà eu leur petit veau qui les suivent partout pour téter et la troisième est toujours en attente. Mais voilà, l’attente est trop longue. Sylvain m’explique que son petit aurait dû naître depuis plusieurs jours et il sent que quelque chose ne va pas. Il pense à un retournement de matrice (l’utérus aurait fait un tour sur lui-même, empêchant ainsi le petit de sortir). D’ailleurs, depuis la veille au soir, la vache a la tête basse.

Il a appelé le vétérinaire de bon matin mais n’a réussi à joindre personne. Nous devons quitter l’exploitation pour aller moissonner, Sylvain demande donc à sa femme, cogérante de l’exploitation, de rappeler plus tard.

En route pour la moisson

Il est 10H30 et nous prenons la route pour Puiseux où se situe la ferme de son associé Luc. Leur association ne remonte qu’à quelques années. Elle a commencé par une mise en commun du matériel qui a permis aux deux exploitations de faire des économies, revendant les machines qu’ils avaient en double et achetant des machines plus performantes. Depuis l’année dernière, ils ont également mis toutes leurs terres en commun. Mais je vous en reparlerai plus en détail dans le portrait de Sylvain.

Avant de commencer à moissonner, petit tour d’inspection de la moissonneuse-batteuse.

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La journée d’hier n’a pas été simple : la machine avait un problème de distributeur et ils ont perdu beaucoup de temps à essayer différents réglages avec le technicien. Lors de la moisson, les techniciens du concessionnaire sont très souvent appelés par les agriculteurs pour différentes pannes. Ils se doivent être réactifs et doivent pouvoir être rapidement sur place. On ne fait pas attendre un agriculteur en pleine moisson !

Tout est en ordre, il n’y a plus qu’à remettre un peu d’huile, faire le plein et nous pouvons partir pour le champ de colza.

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Tandis que nous reprenons la coupe du champ là où Sylvain l’avait laissé la veille (environ à la moitié), j’aperçois un autre tracteur à l’autre bout. C’est Luc qui épand du lisier de cochon là où le colza a déjà été coupé. L’un de ses voisins est éleveur de porc et ils ont un arrangement : Luc et Sylvain lui échangent son lisier contre la mise à disposition du plan d’épandage. En effet, les éleveurs porcins doivent présenter à l’administration la liste des parcelles agricoles sur lesquelles ils épandent le lisier de leurs animaux. En l’occurrence, le voisin de Luc et Sylvain ne possède pas de terres agricoles. Ils ont donc développé cet arrangement.

Il est environ 11H30 et nous moissonnons depuis 30 minutes à peine lorsque sa femme appelle Sylvain. Le vétérinaire vient d’ausculter la vache malade et confirme le retournement de matrice. Il faut pratiquer une césarienne en urgence et le vétérinaire préférerait que Sylvain soit présent.

Sylvain appelle donc Luc pour qu’il vienne le remplacer. Ce dernier doit d’abord ramener le tracteur avec la tonne à lisier à la ferme puis il nous rejoint pour nous remplacer.

Sylvain et moi repartons alors vers Wagnon. Etre agriculteur c’est aussi travailler avec l’imprévu. Rien ne peut être écrit dans le marbre et rigide lorsque l’on œuvre avec le vivant. Une vache malade ? Une machine en panne ? La seule réponse ? L’adaptation et la réactivité.

C’est aussi une des raisons pour laquelle Sylvain et Luc ont choisi de s’associer. En cas de pépin, ils s’épaulent et travaillent ensemble pour que les différentes tâches avancent.

Arrivés à Wagnon, nous retrouvons le vétérinaire et la femme de Sylvain dans la grange auprès de la vache malade. Ils l’ont attaché à une barrière et le vétérinaire lui a déjà administré un anesthésiant et ouvert le ventre.

Sylvain enfile une sorte de grande robe en plastique pour protéger ses vêtements et s’approche de la vache. Pas fière pour un sou je reste à bonne distance, je n’avoue ne pas être très confortable avec le sang et la vue de l’intérieur d’un animal ! Finalement, je me place à la tête de la bête pour la caresser et la tenir tranquille. J’aurai donc une bonne vue sur la sortie du veau et la couture de la matrice.

Le vétérinaire a eu du mal à sortir le veau, celui-ci était énorme, au moins 60kg ! Le retournement de matrice est un problème qui arrive de temps en temps chez les vaches et qui est difficile de prévoir. La femme de Sylvain explique que sur leur exploitation ils en ont environ une tous les trois ans. Il faut qu’elle soit détectée très vite pour sauver le veau. Ce jour-là, il est déjà trop tard pour lui. L’objectif maintenant est de sauver la mère. Les risques d’infections sont importants et le vétérinaire ne lésine pas sur les antibiotiques. J’admire le travail de couture du vétérinaire. Il recouvre la cicatrice d’un aérosol gris pour la protéger. [note : aujourd’hui, la vache est sauve !]

Après un déjeuner rapide et délicieux, Sylvain et moi reprenons la route de la moisson. Luc a drôlement bien avancé. Sylvain le relaie dans la moissonneuse et je reste au bord du champ pour une séance de photos et vidéos.

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Sylvain et VIVESCIA

Je monte dans la moissonneuse et m’assois sur le strapontin destiné aux visiteurs de moisson. Nous nous lançons dans de grandes conversations sur l’agriculture d’ici et d’ailleurs. Sylvain me parle de son engagement chez VIVESCIA, sa coopérative agricole. Aujourd’hui, il est membre du bureau de la coop’ et beaucoup d’agriculteurs le sollicitent en raison de la mauvaise moisson. Sylvain de son côté réfléchit déjà à des propositions d’aide pour aider ses pairs à passer cette année difficile. Je sens qu’il est très concerné par la situation actuelle de la profession et pas uniquement pour son exploitation. Son cerveau fourmille d’idées nouvelles pour faire face à cette année exceptionnelle. Il va faire mûrir ses réflexions pendant les prochaines semaines et effectuera un important travail de recherche pour arriver au prochain Conseil d’Administration de VIVESCIA avec un projet bien construit.

Pour Sylvain la coopérative est un acteur crucial de la filière céréalière, partenaire privilégié des agriculteurs. Même, elle est au service des agriculteurs et a pour but de les aider à dégager plus de revenus. C’est pour toutes ces raisons qu’il s’y investit avec volontarisme et passion. Il passe beaucoup de temps pour VIVESCIA tant pour de la représentation dans des instances qu’au Conseil d’Administration et au bureau. C’est une autre raison qui l’a poussé à s’associer avec Luc. Grâce à leur organisation, même lorsqu’il est pris pour les affaires de la coopérative, le travail avance car Luc s’en occupe. Les heures faites par chacun sont ensuite rémunérées par la structure ce qui créée un système juste (payé au temps passé).

Petit nettoyage des vitres parce que le colza fait beaucoup de poussière et à la tombée du jour, on commençait à ne plus rien voir !

Petit nettoyage des vitres parce que le colza fait beaucoup de poussière et à la tombée du jour, on commençait à ne plus rien voir !

Nous discutons et d’un coup « groutch groutch groutch », un bruit étrange s’élève dans la moissonneuse ! Le batteur a bourré ! Lorsque les colzas sont coupés et entrent dans la moissonneuse, ils passent sous une sorte de rouleau appelé le batteur. Celui-ci permet de séparer les grains des tiges et autres déchets qui seront recrachés à l’arrière de la moissonneuse. Le bourrage arrive quand il y a trop de tiges arrivant au batteur et souvent lorsqu’elles sont trop humides. C’est le cas ici. Nous avions atteint une zone du champ beaucoup moins mûre avec beaucoup de mauvaises herbes bien vertes ! La plupart du temps, il suffit simplement de faire tourner le batteur dans l’autre sens pour faire ressortir les branches. Malheureusement, parfois, et c’était le cas ici, cela ne suffit pas et il faut faire tourner le batteur à l’aide d’une manivelle et vider la machine à la main. En moins de 5 minutes Sylvain était couvert de poussières de colza de la tête aux pieds ! Au final, nous avons eu de la chance car en une vingtaine de minutes nous étions repartis.

La moissonneuse a bourré, il faut tout vider à la main !

La moissonneuse a bourré, il faut tout vider à la main !

La nuit? La moisson continue !

Ce jour-là, la moisson s’est poursuivie jusque tard dans la nuit. Nous avons mangé un casse-dalle en début de soirée et avons continués nos aller-retours dans le champ. Plus la nuit avançait, plus l’humidité tombait sur nous. Cette dernière n’est pas bonne pour le grain et surtout les risques de bourrage augmentent.

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Vers 1h du matin, nous avons arrêté de moissonner. L’humidité était trop importante et la fatigue s’était emparée de nous. Après avoir ramené la moissonneuse chez Luc, nous sommes rentrés à Wagnon. Sylvain a réchauffé la blanquette de veau préparée par sa femme. Nous nous sommes régalés silencieusement, épuisés par cette longue journée.

Demain, Sylvain redémarrera à 6h du matin : lecture de ses mails, mise à jour de son agenda avec toutes les convocations reçues la veille et visite des vaches de l’exploitation. Mais demain est un autre jour !

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